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Revue de littérature - Septembre 2019

Revue de littérature SFCO Septembre 2019. Pr. Devoize

Tramadol : Attention !

 

Le tramadol est l’un des analgésiques les plus utilisés dans le monde, classé comme ayant un faible potentiel d’abus. Son mécanisme d’action est attribué à un agonisme modéré des récepteurs opioïdes μ, à une modulation de la nociception médiée par la sérotonine et la noradrénaline et à un antagonisme du récepteur n-méthyl-D-aspartate (nMDAR). Les effets indésirables reconnus du tramadol, communs à tous les opioïdes, comprennent vertiges/nausées, constipation, maux de tête, somnolence, vomissements et prurit. Le risque de convulsions par syndrome sérotoninergique est un effet indésirable rare, grave mais connu.

Ces deux études nouvellement publiées montrent néanmoins que la pharmacologie du tramadol n’est pas encore complètement établie et que cette molécule devrait être manipulée avec prudence. Il serait judicieux d’évaluer tous ces résultats en France, le tramadol étant l’une des molécules antalgiques les plus prescrites dans notre discipline et plus particulièrement en chirurgie orale.

Chung CP, Callahan ST, Cooper WO, Dupont WD, Murray KT, Franklin AD, Hall K, Dudley JA, Stein CM, Ray WA. Individual short-acting opioids and the risk of opioid-related adverse events in adolescents. Pharmacoepidemiol Drug Saf. 2019 Aug 16. [Epub ahead of print]

Résumé :

Aux États-Unis, entre 1999 et 2015, le nombre de surdose et de décès par opioïdes chez les adolescents a été multiplié par trois.

L’hydrocodone, la codéine, l’oxycodone et le tramadol sont les opioïdes les plus fréquemment prescrits pour soulager une douleur modérée liée à un traumatisme mineur ou à une intervention dentaire, chirurgicale ou médicale. La codéine et le tramadol sont tous deux des promédicaments convertis en ligands μ-opioïdes par l’isoenzyme 2D6 du cytochrome P-450 (CYP2D6).

Contrairement aux autres opioïdes, le tramadol est à la fois un agoniste des opioïdes μ et un inhibiteur de la recapture de la norépinéphrine et de la sérotonine. On pensait que sa pharmacologie unique procurait une analgésie équivalente à celle des autres opioïdes à une dose d’opioïde efficace inférieure, réduisant ainsi le risque de surdose ou de dépendance.

Cependant, les préoccupations concernant l’innocuité relative des opioïdes chez les adolescents sont principalement fondées sur des études mécanistiques et des rapports de cas plutôt que sur des études de survenue d’effets basés sur la clinique.

Ainsi, les auteurs ont voulu analyser les données d’une vaste étude de cohorte (données issues du Tennessee Medicaid program) pour comparer la survenue d’événements indésirables liés aux opioïdes confirmés par le dossier médical chez des adolescents sans cancer ni autres maladies graves ayant reçu une ordonnance d’hydrocodone, codéine, oxycodone ou tramadol.

Au cours du suivi de l’étude, 275 événements indésirables liés aux opioïdes ont été signalés, dont 189 (68,7%) étaient probables et 86 (31,3%) étaient possibles. Il y avait 63 cas graves (23,0%), dont un décès et 222 (77,0%) avec une visite au service des urgences seulement. 49% des cas présentaient des symptômes neurologiques et respiratoires : par dépression du système nerveux central (25,8%), par dépression respiratoire (3,3%) ou des symptômes neuropsychiatriques (30,2%); le reste présentait des symptômes gastro-intestinaux (20,7%), dermatologiques (18,5%), allergiques (12,7%) ou autres (1,5%). L’événement indésirable était lié à un opioïde non prescrit dans 3,6% des cas, à l’automutilation dans 11,6% des cas et à la toxicomanie dans 10,2% des cas.

L’incidence non ajustée des événements indésirables liés aux opioïdes pour 10 000 personnes exposées par année était de 97,5 pour l’hydrocodone, de 91,2 pour la codéine, de 229,7 pour l’oxycodone et de 317,7 pour le tramadol.

Le risque ajusté d’effet indésirable lié aux opioïdes pour les utilisateurs du tramadol était 2,98 (intervalle de confiance à 95% [IC], 2,03‐4,39) fois supérieur à celui des utilisateurs d’hydrocodone. Il y avait un risque accru similaire pour les effets neurologiques et respiratoires (HR = 2,85, 1,72-4,74) et les événements indésirables graves (HR = 3,08, 1,64-5,79).

Les utilisateurs d’oxycodone présentaient un risque accru d’effets indésirables liés aux opioïdes de 1,92 (IC 1,26‐2,94). Cependant, il n’y avait pas d’augmentation significative du risque d’événements indésirables neurologiques-respiratoires (HR = 1,68, 0,91-3,09) ou graves (HR = 1,00, 0,32-3,17). Il n’y avait pas de risque significativement accru pour la prise de codéine pour tous les événements indésirables (HR = 1,27, 0,88-1,84), neurologiques et respiratoires (HR = 0,77, 0,44-1,37) ou graves (HR = 1,09, 0,50‐2,36).

Plusieurs analyses ont testé la sensibilité des résultats des études aux sources potentielles de biais. Les résultats de chacun étaient similaires à ceux de l’analyse primaire, y compris une analyse dans laquelle le groupe de référence était la codéine, un substrat du CYP2D6.

Commentaire :

Dans cette étude de cohorte portant sur l’utilisation d’opioïdes à courte durée d’action chez des adolescents sans cancer ni autre maladie grave, le tramadol montre un profil de tolérance plus faible que l’hydrocodone ou la codéine. Par rapport à l’hydrocodone, le risque d’événements indésirables liés aux opioïdes a été multiplié par 2,9, avec des augmentations comparables pour les événements associés à des symptômes neurologiques ‐ respiratoires et les événements plus graves associés à l’escalade de soins, à l’hospitalisation ou au décès.

Il est également important de noter qu’aux Etats-Unis, après des rapports de cas de décès liés à la codéine et au tramadol après une amygdalectomie ou une adénoïdectomie chez des enfants et des adolescents métaboliseurs ultra-rapides (UM) du CYP2D6, les deux opioïdes ont été contre-indiqués pour les adolescents de 12 à 17 ans bénéficiant de ces procédures, étant obèses ou ayant de graves problèmes respiratoires.