SFCO

Revue de littérature - Juin 2015

Dr Cédric Mauprivez

Prescription antibiotique : le risque nul n’existe pas !

Intracranial bacterial infections of oral origin.

Moazzam AA et al. Journal of Clinical Neuroscience 2015 ; 22 : 800-6. 

Résumé :

Il s’agit d’une revue de la littérature rapportant 60 cas publiés ayant présenté un abcès cérébral d’origine dentaire. Il n’existe à ce jour, aucune étude prospective ni de cohorte sur le sujet. L’objectif de cette revue était de fournir une synthèse des connaissances disponibles sur l’histoire naturelle, la pathogenèse, la microbiologie, et les infections et procédures dentaires les plus souvent associés à cette complication rare mais potentiellement mortelle.

L’incidence des abcès cerébrauxodontogènesest comprise entre 1 à 8 événements pour 100.000 patients par an.Le taux de mortalité estimé est de 8,3%. Il n’existe aucune concordance entre la topographie de l’infection intra-crânienne et le coté (homolatéral ou ipsilatéral) de la porte d’entrée dentaire ce qui suggère que la dissémination hématogène (bactériémie) est la voie de diffusion la plus probableplutôt que par drainage veineux.Il n’y a pas de prédilection pour le maxillaire ou les dents mandibulaires. Dans la cavité orale, plus de 1200 espèces bactériennes différentes ont été isolées, 350 espèces dans les parodontites apicales et plus de 150 dans les infections endodontiques. La dissémination hématogène des bactéries orales peut être la conséquence d’une infectionodontogène: caries sans parodontite apicale (15 cas), caries avec parodontite apicale (21 cas), gingivites et parodontites(28 cas) cellulites (7 cas) mais aussi d’une procédure dentaire en dehors de toute pathologie infectieuse d’origine dentaire : extractions dentaires (15 cas), soins parodontaux (2 cas), soins endodontiques (1 cas), soins orthodontiques (2 cas). A noter que 2 cas d’abcès cérébral sont survenus suite à la pose de piercing au niveau de la langue. La littérature rapporte également qu’une extraction dentaire simple d’une dent non infectée et le brossage des dents pouvaient induire une bactériémie transitoire dans 38 % des cas. Le délai moyen entre la procédure dentaire et l’apparition des symptômes neurologiques est de 17,6 jours soit d’environ 2 à 3 semaines avec un intervalle de 1 à 4 semaine(s).

Commentaire :

L’Afssaps (2011) et l’American Dental American (2014)recommandent de ne pas réaliser d’antibiothérapie préventive pour les procédures dentaires spécifiquement pour éviter la survenue d’abcès du cerveau étant donnée la faible incidence de cette complication, le potentiel élevé de développer des résistances bactériennes et l’absence d’enquêtes épidémiologiques. Actuellement, la seule indication médicale motivant la prescription d’une antibiothérapie prophylactique est la prévention de l’endocardite infectieuse pour les patients qualifiés de « à haut risque » à savoir les patients porteurs d’une prothèse valvulaire, les patients avec antécédents d’endocardite infectieuse et ceux présentant une cardiopathie congénitale cyanogène. 

 

A unique strain of community-acquired Clostridium difficile in severecomplicated infection and death of a youngadult.

Heslop O et al. BMC infectiousDiseases 2013 ; 13 : 299. 

Résumé :

Ce papier rapporte le cas d’une jeune femme âgée de 22 ans, en bonne santé, qui a présenté une colite pseudomembraneuse survenue 5 jours après l’instauration d’une antibiothérapie (clindamycine) dans le cadre du traitement médical d’un abcès dentaire.Le tableau clinique initial, le jour de son hospitalisation,était celui d’une diarrhée fébrile. L’état de la patiente s’est rapidement détérioré avec apparition d’un mégacôlon toxique, d’une perforation intestinaleet d’un sepsis. Des hémocultures ont permis d’isoler Clostridium difficile (souche NAP12/ ribotype 087 référence ATCC 43255) et Klebsiellapneumoniae. Malgré l’instauration d’un traitement par métronidazole et l’admission en soins intensif, la patienteest décédée 10 jours après la procédure dentaire. Une autopsie a été pratiquée et à confirmer la toxi-infection à Clostridium difficile avec atteinte du gros intestin et des poumons.

Le choix de la molécule de l’antibiotique utilisée ici (la clindamycine) n’est pas est le facteur de risque principal. Des colites pseudomembraneuses peuvent compliquer la prescription de toute antibiothérapie à large spectre, y compris l’amoxicilline seule ou en association, les fluoroquinolones et dans une moindre mesure les macrolides. La survenue de cette toxi-infection est initiée par le déséquilibre de la flore intestinale et de la rupture de l’effet barrière de la flore commensale digestive. Si la fréquence de survenue d’une diarrhée post-antibiotique est estimée entre 5 et 30%, seuls 3% des adultes sont porteurs asymptomatiques de Clostridium difficile. Il n’existe aucun examen de routine permettant d’identifier cette catégorie de patient à risque de colite pseudomembraneuse. La fréquence de colite pseudo-membraneuse (CPM) est estimée entre 1 et 3 cas  pour 100.000 patients ambulatoires sous antibiothérapie. Les principaux facteurs de risques de CPM sont le sujet âgé et la prise de médicaments anti-acides (inhibiteurs de la pompe à protons, anti-histaminiques H2). Devant une diarrhée post-antibiotique fébrile, il est recommandé de stopper l’antibiothérapie, de réaliser un coproculture (identification des toxines A ou B dans les selles), d’instaurer un traitement par métronidazole ou par vancomycine. Une colectomie partielle ou totale doit être pratiquée en urgence en cas de perforation intestinale. La gravité et l’évolution fatale de cette CPM est vraisemblablement liée à la virulence de la souche isolée et à l’absence d’une prise en charge chirurgicale, et ce malgré l’instauration rapide d’une antibiothérapie curative adéquate et l’absence de facteur de risque.

Commentaire :

Le choix de prescrire ou de ne pas prescrire un antibiotique repose sur des recommandations (Afssaps 2011). Malgré une bonne observance de ces recommandations, le risque zéro n’existe pas. La prescription d’antibiotique expose à des effets indésirables le plus souvent bénins (diarrhées post-antibiotiques, rash cutané …), mais des accidents beaucoup plus rares mais graves et parfois mortels (colite pseudomembraneuse, choc anaphylactique …) peuvent survenir.

La prescription est un acte médical qui doit reposer sur un diagnostic précis. La décision de « prescrire ou de ne pas prescrire » doit être un acte raisonné, réfléchit qui doit s’appuyer sur des référentiels actualisés. Toute prescription ou non prescription doit pouvoir se justifier à partir dedonnées recueillies lors de l’interrogatoire médical et l’examen clinique. Il est impératif que ces éléments soient notifiés sur le dossier médical du patient.