SFCO

Revue de littérature - Novembre 2011

Sélection de Cédric Mauprivez

Risk of laryngeal edema and facial swellings after tooth extraction in patients with hereditary angioedma with and with C1 inhibitor concentrate : a restrospective study. 
Konrad Bork, Jochen Hardt, Petra Staubach-Renz , Guenther Witzke. 
Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral radiol Endod 2011 ; 112 : 58-64.

Objectif de l’étude.
Le but est d’évaluer l’efficacité clinique d’une prophylaxie préopératoire avec un concentré de C1 inhibiteur (C1inh) avant extractions dentaires.
Méthodologie. 
Il s’agit d’une étude rétrospective réalisée à partir de dossiers cliniques de 171 patients atteinte d’angioedème héréditaire (AOH) ayant bénéficiés d’extractions dentaires.
Résultats.
La population étudiée avait une moyenne d’âge de 43,6 ±15,1 ans et regroupait 68 femmes et 103 hommes. 801 dents ont été extraites au cours de 705 interventions.
Deux groupes ont été définis ; le groupe 1 regroupant les patients n’ayant bénéficiés d’aucune prophylaxie et le second groupe réunissant l’ensemble des patients ayant pu bénéficiés d’une prophylaxie avec injection en préopératoire de 500  ou 1000 UI de C1inh.
Parmi les patients du groupe 1, 37,2% des patients (55 patients sur 148) soit 21,5% des extractions dentaires (124 extractions sur un total de 577) ont présenté un accident d’angioedème (88 œdèmes faciaux isolés,  6 œdèmes laryngés isolés et 28 œdèmes diffus avec atteinte faciale et ORL). Pour le groupe 2, 20,8%  des patients (10 patients sur 48) soit 12,5% des extractions dentaires (16 extractions sur un total de 128) ont déclarés avoir eu une crise d’angioedème (9 œdèmes faciaux isolés, 4 œdèmes laryngés et 3 œdèmes avec une double atteinte faciale et laryngée). Dans les 2 groupes, aucun œdème fatal n’a été déploré.
La prophylaxie avec injection intraveineuse de C1 inh une heure avant  permet ainsi de réduire de 41 ,9%  le risque de survenue d’une crise d’angioedème après extraction dentaire. Cette réduction est significative uniquement pour une dose de 1000 U.
Sous prophylaxie, le délai de survenue d’une crise d’OA suite à des extractions dentaires est de 8,4 ± 8,8 heures (intervalle de 4 à 36 heures). En l’absence de prophylaxie, ce délai est de 14,3 ± 10 heures (intervalle de 1 à 72 heures). La différence entre les 2 groupes est statistiquement différente (p<0.001).
Discussion.
Le concentré de C1 inh est habituellement indiqué dans le traitement symptomatique des crises aiguës d’OAH. Son indication en tant que traitement prophylactique fait l’objet de cette étude. Son efficacité pour prévenir le risque de crises sévères d’OAH serait dose-dépendance. Le pourcentage d’AOH survenu après soins dentaires est de 21,5 % sans prophylaxie, 16,0% pour une dose de 500 U et 7,5% pour une dose 1000 U.
Même si les extractions dentaires sont probablement le facteur déclenchant le plus fréquent de crise d’AOH, un traitement prophylactique est également nécessaire pour tout soin dentaire même sans anesthésie.  Dans cette étude, 8 patients ont rapporté une crise d’AOH suite à des soins de dentisterie restauratrice et d’endodontie sans anesthésie.
Dans cette étude, la majorité des crises d’AOH survient dans les 12 heures qui suivent les extractions dentaires. Aussi la nuit suivant le jour des extractions est une période à haut risque de crise d’AOH. Les 4 décès par asphyxie décrits dans la littérature comme conséquence directe d’une crise d’AOH déclenchée par une extraction dentaire se sont tous produit entre 3h30 et 6h00 du lendemain de l’intervention.
La principale limite de cette étude est d’ordre méthodologique. Il s’agit d’une étude rétrospective, non randomisée. Aussi de nombreux biais existent : les patients ayant bénéficiés d’une prophylaxie étaient sans doute les patients les plus à risque de développer une crise d’AOH, une surestimation  ou au contraire la sous-estimation des événements identifiés comme crise d’AOH du fait de la simple lecture d’un dossier…
En revanche, la principale force de cette étude est le nombre d’extractions effectuées dans les deux groupes.
Conclusion 
Malgré ses limites, les auteurs de cette étude concluent de l’intérêt de l’administration du concentré de C1 inh à la dose de 20U/kg avant des extractions dentaires pour diminuer le risque de survenue de crise d’angioedème facial et/ou laryngé chez des patients atteints d’AOH. Malgré cette prophylaxie, des crises sévères d’AOH peuvent survenir.

L’AOH est une maladie génétique héréditaire due à une mutation du gène  (situé sur le chromosome 11) codant pour la synthèse d’une protéine du sang, appelée C1 inhibiteur ou C1 inh. On dénombre plus de 250 mutations possibles du gène. 
La mutation est,  dans 75% des cas, transmise par l’un des deux parents (transmission dominante), elle est de novo dans 25% des cas (mutation se produisant chez une personne dont les parents ne portent pas la mutation). 
Selon l’altération génétique, on distingue 2 types d’AOH : 

  • le type 1, le plus fréquent (85% des malades) se caractérise par une diminution du C1 inh plasmatique ;
  • le type 2 (15% des malades) se caractérise par un taux normal de C1 inh mais il existe une baisse de l’activité fonctionnelle de la protéine

Il s’agit d’une maladie rare. Environ 1000 personnes (hommes et femmes) sont atteintes d’AOH en France.

Le C1inh régule la voie classique du complément, la phase de contact de la coagulation et la fibrinolyse. Il inhibe à 90% le facteur XII et à 42% la kallicréine et la plasmine. En cas de déficit, tout traumatisme endothélial activera en excès la phase de contact de la coagulation et la voie classique du complément et libérera en grand quantité de la bradykinine et de substances kinine-like. La bradykinine provoque une augmentation de la perméabilité des vaisseaux sanguins, d’où une extravasation plasmatique et une fuite liquidienne dans les tissus, responsable d’œdème (= crise d’AOH).

Ces oedèmes d’origine bradykinique, contrairement aux oedèmes d’origine histaminique, sont non prurigineux et peuvent être douloureux. Ils persistent en général 2 à 5 jours puis disparaissent. Il y a souvent une zone de prédilection pour chaque malade (mains, pieds, face, thorax). Du fait de leur localisation, certains oedèmes peuvent être graves :

  • les œdèmes laryngés constituent une urgence vitale. Le risque de détresse ventilatoire voire d’obstruction des voies aériennes supérieures nécessite une prise en charge spécifique et urgente.
  • les œdèmes abdominaux sont responsable de douleurs et de vomissements, parfois intenses, pouvant nécessiter une hospitalisation.

La plupart des crises surviennent spontanément, sans raison apparente, mais certains évènements peuvent les déclencher : une intervention chirurgicale, des soins dentaires, voir un stress émotionnel. 
Une prise en charge adaptée et certaines précautions permettent de réduire le risque de survenue des complications graves.

Chez les patients ayant un antécédent d’œdème laryngé, une hospitalisation d’au moins 24h doit être envisagée. Le traitement prophylactique classique repose sur une prise de Danazol (augmente la synthèse de C1inh)  per os à la dose de 600 mg/j pendant les 5 à 10 jours précédents les soins dentaires (même sans anesthésie). Le contrôle du taux de C1 inh est nécessaire avant l’intervention et le traitement doit être poursuivi à la même dose 3 jours après.  Deux autres alternatives thérapeutiques existent : l’administration de concentré de C1 inh (Bérinert ®) et l ‘ Icatibant (Firazyr ®)
Comme il a été souligné dans l’article analysé, le concentré de C1 inh (Bérinert ®) doit être injecté par voie intraveineuse 1 heure avant les soins ou l’intervention  à la dose de 20 à 25 UI/kg. Les principaux avantages du Bérinert ® par rapport au Danazol est qu’il est efficace dès la première 1/2h qui suit l’injection avec une durée d’action de 1 à 2  jours. Son intérêt majeur réside donc dans la possibilité de pratiquer une intervention chirurgicale en cas urgence (chirurgie non programmée). Les deux principales limites de ce médicament sont sa prescription et sa délivrance uniquement hospitalière (produit dérivé du sang) et son coût élevé.
L’Icatibant  (Firazyr ®) est une protéine synthétique qui bloque les récepteurs de la bradykinine. Il est efficace dans le traitement des œdèmes laryngés et à pour principaux avantages d’être administrable par voie sous-cutanée et de se conserver à température ambiante.  Les limites  à l’emploi de ce médicament sont les mêmes que celle du concentré de C1 inh à savoir sa prescription hospitalière et son coût.

 


 

Long buccal nerve block : a previously unreported complication.  
Marjorie Kerry Herd, Robert Smith , Peter Brennan
Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 2011 ; 112 : e1-e3.

Le cas clinique rapporté est celui d’une femme âgée de 50 ans qui  est adressé pour la biopsie d’une  macule blanche  située sur la face interne de la joue droite. Un bloc du nerf buccal est pratiqué à l’aide d’une aiguille de 29 G, le point d’injection étant situé en regard de la  3ème molaire mandibulaire juste au dessus du plan d’occlusion. 1mL d’une solution de 2% de Lidocaine associée à 1/80.000ème d’adrénaline est injecté après réalisation d’un test aspiratif. Immédiatement après l’infiltration, la patient ressent une douleur aiguë soudaine localisée au niveau de la région infra-orbitaire droite. Un blanchiment cutané facial homolatéral est immédiatement observé. Il correspond au territoire de vascularisation de l’artère infraorbitaire et s’étend depuis la paupière inférieure jusqu’au sillon nasogénien. L’examen clinique exobuccal objective une anesthésie du territoire concerné et l’examen de la muqueuse buccale révèle une décoloration de la muqueuse buccale strictement localisé au niveau du point d’injection. La biopsie est pratiquée et la recoloration des territoires cutanéo-muqueux est rapidement observée en moins 30 minutes.
Discussion. 
Les mêmes auteurs avaient dans une publication ultérieure rapporté cette complication exceptionnelle de l’anesthésie locale mais elles faisaient suite à un bloc du nerf alvéolaire inférieur (Paul R, Arnand R, Wray P, d’Sa, Brennan P. An unusual complication of an inferior dental nerve block : a case report. Br Dent J 2009 ; 10 (1) : 9-10.).
Deux explications à ce phénomène de blanchiment cutané suite à une anesthésie de la muqueuse buccale sont avancées : l’injection intravasculaire de la solution anesthésique adrénalinée commis par inadvertance malgré un test d’aspiration négatif et la stimulation du système nerveux sympathique périvasculaire par contact direct avec l’aiguille suivie d’une vasoconstriction réflexe.
D’un point de vue anatomique, la diffusion de la vasoconstriction depuis le site d’injection (artère buccale, branche collatérale de la maxillaire) jusqu’au territoire cutané de la région infraorbitaire pourrait suivre deux trajets. La première voie possible serait du à un flux rétrograde via l’artère maxillaire jusqu’ à l’artère infraorbitaire, branche terminale de cette dernière. La seconde, qualifiée d’orthograde, serait due à l’existence d’anastomose directe entre l’artère buccale et l’artère infraorbitaire et/ou l’artère faciale.

Si le mécanisme physiopathologique n’est pas totalement élucidé, l’hypothèse d’une injection intravasculaire accidentelle ou d’une diffusion de la solution anesthésique avancée par les auteurs semble peu probable. En effet, en cas d’injection intravasculaire,  des modifications hémodynamiques (augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle) et des manifestations cardiovaculaires  (tachycardie, palpitation) domineraient le tableau clinique. 
L’hypothèse étiopathogénique la plus vraisemblable est celle d’une vasoconstriction réflexe d’origine sympathique initiée par le traumatisme direct des fibres du système nerveux autonome entourant les artères. La vasoconstriction répondrait à une stimulation massive des récepteurs adrénergiques a1 localisés au niveau des muscles lisses de la paroi vasculaire. Anatomiquement, la topographie impliquée répond strictement au territoire cutané de l’artère infraorbitaire et non de l’artère faciale. Les lèvres et l’aile du nez vascularisés, respectivement par les artères labiales supérieures et inférieures et par l’artère angulaire ne sont pas concernées par la vasoconstriction. Or, toutes ses artères sont issues de l’artère faciale, ce qui rend peu probable l’existence d’anastomose entre l’artère buccale (plan profond) et l’artère faciale (plan superficiel). La vasoconstriction suit donc le territoire de vascularisation de l’artère maxillaire.  Pour confirmer cette hypothèse anatomique, il aurait été intéressant de savoir si en endobuccal, cette vasoconstriction reflexe concernait également la muqueuse palatine ipsilatérale.