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Les implants dentaires en secteur irradié peuvent-ils être proposés de manière sécuritaire ?
Le traitement des cancers de la cavité buccale entraîne une morbidité importante et une réhabilitation buccale souvent insatisfaisante. La phonation, la mastication, la déglutition peuvent être gravement compromises, et la qualité de vie orale de ces patients est largement diminuée.
Certaines de ces difficultés peuvent être améliorées grâce aux implants dentaires pendant la phase de réhabilitation orale. Cependant, de nombreux cliniciens considèrent les implants comme contre-indiqués et sont actuellement réticents à les utiliser chez les patients irradiés du fait d’une anatomie altérée, d’une cicatrisation diminuée, d’une difficulté à la mise en place des implants dans la bonne position prothétique, et de la survenue de complications potentiellement sévères.
Toneatti DJ, Graf RR, Burkhard JP, Schaller B. Survival of dental implants and occurrence of osteoradionecrosis in irradiated head and neck cancer patients: a systematic review and meta-analysis. Clin Oral Investig. 2021;25(10):5579-5593. doi:10.1007/s00784-021-04065-6
L’objectif principal de cette revue systématique était d’étudier la survenue d’une ostéoradionécrose après la pose d’implants dentaires sur des mâchoires irradiées en calculant un taux d’incidence et en isolant les facteurs de risque. Parallèlement, les données extraites ont été utilisées pour déterminer un taux de survie des implants chez les patients irradiés.
Cette revue a respecté les standards actuels en terme de méthodologie de méta-analyse en suivant les directives PRISMA, MOOSE, ainsi que le manuel Cochrane.
Dans cette revue systématique, les données de 23 études, avec une moyenne de 28,7 patients chacune, ont été extraites. Les données cumulées portent sur 660 patients. Parmi ceux-ci, 63 % (416 patients) étaient des hommes, 31 % (202 patients) étaient des femmes et chez 6,3 % (42 patients), le sexe n’était pas précisé. L’âge moyen était de 59,5 (± 5,4) ans. Au total, 638 patients ont subi un traitement contre le cancer de la tête et du cou, tandis que 22 autres patients non cancéreux ont été reconstruits chirurgicalement et implantés.
La plupart des patients (63 %, 414 patients) étaient atteints d’un carcinome épidermoïde. Au total, 425 (64,4 %) des 660 patients ont été traités par radiothérapie et ont reçu une dose de rayonnement moyenne de 55,8 (± 7,6) Gray. Une chimiothérapie a été administrée à 12,4% (82 patients).
Au total, 2602 implants dentaires ont été posés, dont 1637 (62,9 %) dans le sous-groupe irradié.
L’intervalle moyen entre la pose d’implants durant la chirurgie carcinologique et la radiothérapie était de 6 semaines, alors qu’en cas de chirurgie implantaire secondaire, un délai d’attente médian de 30,7 mois a été respecté. Lors de l’implantation, des antibiotiques ont été administrés à 42,1 % (179 patients irradiés) et une oxygénothérapie hyperbare a été utilisée chez 15,1 % des patients irradiés (64 patients irradiés).
Après un suivi moyen de 37,7 mois, 97 % (intervalle de confiance à 5 % ; IC 95,2 % ; IC à 95 % 98,3 %) des implants étaient toujours en place dans le groupe témoin non irradié, alors que le sous-groupe irradié avait un taux de survie de 91,9 % (IC à 5 % 87,7 % ; IC à 95 % ; 95,3 %) après un suivi moyen de 39,8 mois.
Une ostéoradionécrose est survenue dans 11 cas, conduisant à une incidence de 3 % (IC à 5 % 1,6 % ; IC à 95 % 4,9 %). Deux des 11 cas sont survenus après un échec de l’implant. Un événement supplémentaire n’était pas lié au site d’implantation et n’a donc pas été inclus dans les calculs.
Commentaire :
Cette analyse fournit des preuves supplémentaires que la pose d’implants est une option réalisable chez les patients irradiés atteints d’un cancer de la tête et du cou. Les données montrent que la survie des implants chez les patients irradiés est plus faible que chez les patients non irradiés, mais le taux de succès à environ 3 ans est tout de même de 92%. L’ostéoradionécrose est, bien que rare, une complication grave à laquelle tout chirurgien doit être préparé ; elle est estimée ici à 3%. Il est intéressant de noter que l’analyse « poolée » a montré que le risque d’ostéoradionécrose n’était pas lié à une dose de rayonnement dépassant 60 Gray (p=0,37) ou si une période d’attente de 12 mois entre la radiothérapie et l’implantation était respectée (p=0,1). Les auteurs notent enfin qu’il manque à l’heure actuelle une standardisation de la thérapeutique qui pourrait améliorer encore la qualité des soins, réduire les risques et raccourcir la durée du traitement.