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Association of Herpes simplex infection with significantly increased risk of head and neck cancer: real-world evidence of about 500,000 patients
von Stebut J, Heiland M, Preissner R, Rendenbach C, Preissner S.
Int J Dermatol. 2024 Apr 21.
https: doi: 10.1111/ijd.17196. Epub ahead of print. PMID: 38643367.
Les cancers de la bouche et du pharynx constituent un groupe hétérogène comprenant les cancers de la lèvre, de la cavité buccale et du pharynx. Actuellement, une multitude de facteurs de risque de développement du carcinome (CE) ont été identifiés, les plus courants étant l’alcool et consommation de tabac. Néanmoins, 10 à 20 % des patients souffrant de ce type de cancer n’ont aucun de cas facteurs de risque. Les profils d’expression génique des patients atteints de ces cancers ont montré une compatibilité avec une réponse antivirale. Parmi les virus oncogènes connus, le virus d’Epstein-Barr (EBV) et le virus du papillome humain (HPV) sont les mieux caractérisés. L’EBV a été associé au développement du lymphome de Burkitt et du carcinome nasopharyngé, mais une relation causale claire avec le CE n’a pas encore été trouvée. Les HPV, en particulier les sous-types 16 et 32, sont fortement associés au CE oropharyngé. Ici, la carcinogenèse induite par le HPV sert de facteur pronostique indépendant de la survie, mais le rôle rôle oncogène direct du HPV dans la génèse du CE est controversée. Ceci souligne la nécessité de rechercher d’autres origines virales du CE.
Les virus de l’herpès simplex (HSV) 1 et 2 sont des virus à ADN double brin de la famille des Herpesviridae. Le HSV se propage par la salive et les sécrétions muqueuses et, selon le sous-type, conduit préférentiellement à des infections oropharyngées (HSV1) ou anogénitales (HSV2). Le HSV est l’une des infections virales les plus courantes au monde. Selon l’OMS, on estime qu’environ 67 % de la population mondiale de moins de 50 ans est infectée par le HSV1. Alors que la primo-infection par le HSV1 survient généralement pendant l’enfance, des déclencheurs tels que la fièvre, les rayons UV et le stress peuvent provoquer la réactivation de virus latents dans les neurones sensoriels du ganglion trigéminal, conduisant à la lésion herpétique caractéristique péri-labiale. Le HSV2, quant à lui, est principalement associé aux infections de la région anogénitale et, après une primo-infection, reste dormant dans les ganglions de la racine dorsale.
Les auteurs de cette étude ont ainsi mené une analyse rétrospective de deux cohortes appariées selon l’âge et le sexe extraites de la base de données réelle TriNetX, chacune composée de 249 272 patients avec et sans infections à Herpès simplex (ICD-10 : B00). Les diagnostics C00-C14 (cancer de la tête et du cou) ainsi que leurs sous-types ont été analysés afin de donner les risques relatifs de développement du cancer ainsi que les courbes de survie (Kaplan-Meier) de ces deux cohortes. Les facteurs de confusion tels que le tabagisme et la dépendance à l’alcool ont bien entendu été pris en compte.
Une association significative avec un risque de 1,17 a ainsi été trouvée pour l’ensemble du groupe de cancers de la tête et du cou. Mais c’est l’association avec le cancer des lèvres (ICD-10 : C00) qui est mise en avant, avec un risque relatif de 3,08 !
Commentaire :
Plusieurs éléments de cette étude sont intéressants :
1/ Les études dites « du monde réel » sont devenues de plus en plus importantes dans la pratique clinique, permettant de définir des critères d’inclusion et d’exclusion moins stricts applicables en pratique « quotidienne » pour la recherche clinique. TriNetX est le réseau mondial fédéré de recherche en santé qui donne accès aux dossiers médicaux de 110 millions de patients de 26 pays dans de grandes organisations de soins de santé. C’est ainsi la vision très large de populations hétérogènes provenant de sources multiples et en grand nombre qui permet d’avoir une vision globale sur un problème de santé publique posé.
2/ Incriminer HSV dans la genèse du cancer n’est pas une idée aussi folle qu’à première vue: une étude multicentrique a déjà identifié le HSV comme un cofacteur potentiel du cancer du col de l’utérus positif au HPV. il a aussi été démontré que le HSV augmentait le risque de lésions intra-épithéliales squameuses anales de haut grade. Des études sur les mécanismes oncogènes sous-jacents ont montré que le virus perturbait la réparation des dommages à l’ADN cellulaire et favorisait les oncogènes existants.
3/ Même si cette démonstration demande encore confirmation, la corrélation étonnamment forte avec les néoplasmes des lèvres jette un nouvel éclairage sur les infections à herpès simplex prétendument inoffensives, les suggérant comme un nouveau facteur de risque possible dans la genèse du cancer.