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Revue de littérature - Mai 2025

Aliments ultra-transformés, adiposité et risque de cancer des voies aéro-digestives supérieures et d’adénocarcinome de l’œsophage dans l’étude EPIC (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition)

Morales-Berstein F, Biessy C, Viallon V, Goncalves-Soares A, Casagrande C, Hémon B, Kliemann N et al. Eur J Nutr. 2024 Mar;63(2):377-396. doi: 10.1007/s00394-023-03270-1

Objectif : Étudier le rôle de l’adiposité dans l’association entre la consommation d’aliments ultra-transformés et le cancer des voies aéro-digestives supérieures (VADS) et l’adénocarcinome de l’œsophage dans la cohorte EPIC (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition).

Méthodes : La cohorte EPIC est une des plus larges études prospectives en Europe, incluant -entre 1992 and 20005- 521 323 participants âgés de 35 à 69 ans, dans 10 pays (Danemark, France, Allemagne, Grèce, Italie, Pays-Bas, Norvège, Espagne, Suède et Grande-Bretagne). La présente étude a porté sur 450 111 participants d’EPIC. Des régressions de Cox ont été utilisées pour étudier les liens entre la consommation d’aliments ultra-transformés et le risque de cancer de VADS et d’adénocarcinome de l’œsophage. Une analyse de médiation (méthode statistique permettant d’étudier les relations entre trois entités, la première étant une cause, la deuxième une variable de réponse et la troisième un ensemble de variables intermédiaires appelées médiateurs) a été réalisée pour évaluer le rôle de l’indice de masse corporelle (IMC) et du rapport taille-hanches (RTH) dans ces associations.

Résultats : Au cours d’un suivi moyen de 14,13 ± 3,98 ans, 910 et respectivement 215 participants ont développé un cancer des VADS ou un adénocarcinome de l’œsophage. Une consommation d’aliments ultra-transformés supérieure à 10 g/j était associée à un risque accru de cancer des VADS (hasard ratio [HR] = 1,23, intervalle de confiance à 95 % [IC] 1,14-1,34) et d’adénocarcinome de l’œsophage (HR = 1,24, IC à 95 % 1,05-1,47). Le RTH a joué un rôle de médiateur dans 5 % (IC à 95 % 3-10 %) de l’association entre la consommation d’aliments ultra-transformés et le risque de cancer des VADS, tandis que l’IMC et le RTH ont joué un rôle de médiateur dans 13 % (IC à 95 % 6-53 %) et respectivement 15 % (IC à 95 % 8-72 %) de l’association entre la consommation d’aliments ultra-transformés et le risque d’adénocarcinome de l’œsophage.

Discussion : Les aliments ultra-transformés sont des aliments très palatables à forte densité énergétique dont la qualité nutritionnelle est faible. Ils sont pratiques, pas chers, et souvent vendus en grandes portions. Ceci, en plus de leur potentiel de satiété réduit, favorise la consommation de grandes portions et d’une quantité excessive de calories. Certaines études suggèrent même que la consommation d’aliments ultra-transformés peut perturber le microbiote intestinal, induire une inflammation et provoquer des changements endocriniens qui perturbent l’équilibre énergétique et augmentent le risque d’obésité. De nombreuses études montrent que l’excès de poids et l’obésité abdominale sont positivement associés au risque d’adénocarcinome de l’œsophage, et que l’adiposité centrale peut être un facteur de risque de cancer des VADS.

Parmi les points forts de cette étude, on peut citer la taille de l’échantillon de la cohorte EPIC et sa longue durée de suivi. La nature prospective de la cohorte et la disponibilité de l’IMC et du RTH mesurés plutôt qu’autodéclarés sont également des points positifs. De plus, la conception multicentrique d’EPIC accroît la diversité de l’échantillon étudié. Un autre avantage est que les cas de cancer ont été identifiés par des registres des cancers et des méthodes de suivi actif de la cohorte, ce qui a permis l’exhaustivité des inclusions et la diminution des biais de sélection.

Parmi les limites de l’étude, les facteurs de confusion résiduels non mesurés (par exemple, l’infection par les papillomavirus humains) ou mesurés de manière imprécise (par exemple, le tabagisme et la consommation d’alcool) ont pu biaiser les estimations. Les données sur l’IMC et le RTH (les médiateurs) étaient recueillies à l’inclusion. Or, les données sur l’exposition aux aliments ultra-transformés n’ont pas été recueillies avant les données sur les médiateurs, de sorte qu’il n’est pas  certain que l’exposition précède temporellement les médiateurs. Une autre limite est qu’il a été supposé que l’IMC et le RTH médiatisaient l’association entre la consommation d’aliments ultra-transformés et le risque de cancer par des voies distinctes. Étant donné que l’IMC et le RTH sont corrélés, il serait incorrect de supposer que la proportion du risque de cancer de l‘œsophage médiée par l’adiposité est égale à la somme des proportions médiées par l’IMC (13 %) et le RTH (15 %). Par conséquent, dans cette association, la proportion médiée par l’adiposité est probablement inférieure à 28 %.

Conclusions : Ce travail a confirmé qu’une consommation élevée d’aliments ultra-transformés est associée à un risque élevé de cancer des VADS et d’adénocarcinome de l’œsophage dans la cohorte EPIC. La proportion médiée par l’adiposité était faible, notamment pour le cancer des VADS. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour étudier d’autres mécanismes qui sont probablement impliqués.